Si proche de nous et pourtant si lointain ; l’univers carcéral nous échappe. Il est comme un ailleurs juste ici, comme l’angle mort de notre société, comme l’étranger du dedans. Qui sait vraiment ce qu’il se passe dans ce monde inaccessible qui se dissimule derrière des grands murs de pierres, des procédures, des barreaux, des mythes et des représentations ?  

On se dit que ceux qui sont dedans ces murs ce sont les autres, « ceux qui ont fait quelque-chose ». Nous sommes persuadés qu’il n’y a aucune chance pour que nous fassions un jour l’expérience de cet enfermement, pour que la société dans laquelle nous vivons décide finalement que nous faisons partie de ceux qui doivent être privés de liberté. Et puis parfois on se rappelle que ces autres nous ressemblent plus qu’on ne le croit. Qu’en d’autres temps et d’autres circonstances ça aurait pu être nous. 

Souvent aussi, on se représente la prison comme un espace immobile, un espace où tout s’arrête. Parce que la vie c’est dehors qu’elle se passe, qu’elle s’éprouve réellement. On a tendance à considérer qu’à l’intérieur des murs de la prison le temps se suspend, les êtres se figent et cessent un peu d’exister parce qu’ils disparaissent aux yeux du monde. 

Et si c’était l’inverse qui se produisait ? Si sous la contrainte la vie se débattait plus fort ? 
Dans cet angle mort qu’est la prison, se déploient des capacités d’adaptation et d’invention plus que jamais mobilisées ; où le manque, l’interdit, l’humiliation amènent les hommes à réinventer les conditions de leur dignité, de leur humanité ; où la vie se reconfigure et s’organise pour permettre, coûte que coûte, une expression.

De cette énergie vitale, de ces existences individuelles, on garde peu de traces. Car en même temps qu’ils sont privés de liberté, les détenus sont privés de participer à l’Histoire. Pourtant, on peut partir à la recherche de quelques indices, quelques stigmates laissés par ces femmes et ces hommes. On en trouve dans les archives mais ils sont souvent écrits par d’autres, par la société qui a décidé de les enfermer. On peut aussi en trouver sur les murs des prisons, sous forme de graffitis, d’expressions murales. Et ces éléments sont considérés comme faisant partie intégrante du patrimoine carcéral. 

Comme nous l’explique Elise Allyot dans son mémoire : «  en France, ces traces ont malheureusement souvent été condamnées à l’oubli ; certaines ont disparu avec le temps, ont été détruites ou recouvertes. (…) mais depuis une quarantaine d’années, les études diachroniques se sont multipliées. Enfin, ces « œuvres » font de plus en plus l’objet d’expositions permanentes ou temporaires : « Sur les murs, histoire(s) de graffitis » au Château de Vincennes en 2018, « Des noms sur les murs, les graffiti du camp de Drancy, 1941-1944 » au Mémorial de la Shoah de Drancy en 2013, « Les traces de la prison de Montluc » (Lyon) pour les journées Européennes du Patrimoine 2018 ». 

À Autun, la prison circulaire est riche de nombreux graffitis sur les portes et les murs. Au fil du temps et sous la main des prisonniers successifs, les contributions se superposent parfois. Les graffitis laissés semblent être autant de traces des tentatives pour les prisonniers de se recomposer un cadre humain et de laisser la marque de leur présence.

On y trouve le dessin d’un bateau. Est-ce pour garder une fenêtre sur un rêve de voyage, de liberté, de retour ? 
On y devine des bouts de calendriers. Est-ce pour tenir sous contrôle un rapport au temps angoissant en attendant de sortir ? 
On y découvre des symboles et des figures religieuses.
On y lit des phrases : « 2 ans ici tout en étant innocent », « bientôt libre », « Ha ce qu’on s’emmerde ici sans cigarettes », « pauvres cons qui nous gardent ». A qui s’adressent ces messages ? 
On y voit des marqueurs d’appartenance, des symboles identitaires (comme la fleur d’Algérie), des dessins qui représentent peut-être des souvenirs. Est-ce pour ne pas oublier qui ils sont ? Pour crier silencieusement au monde d’où ils viennent ? 

Toutes ces questions ne peuvent trouver que des réponses subjectives dans l’imaginaire de chacun. Et c’est aussi le projet de « déprisonner », de faire sortir ensemble ces formes d’expression de leurs cellules. En les faisant nôtre, en les interrogeant, en ravivant les fantômes et ce qu’ils ont à nous dire. 

Laurie Darroux, Avril 2021

 Allyot Elise, «  La conservation du patrimoine carcéral par la réhabilitation des anciennes prisons en espace muséal. Quel projet pour la prison d’Autun ? », Mémoire de M2 Master Patrimoine et musées parcours muséographie, Université Jean Moulin, 2020.